mercredi 31 octobre 2007

on ne voit bien qu'avec le coeur

J'aurais dû ne pas l'écouter, il ne faut jamais écouter les fleurs. Il faut les regarder et les respirer. La mienne embaumait ma planète,mais je ne savais pas m'en réjouir.
Je n'ai alors rien su comprendre ! J'aurais dû la juger sur les actes et non sur les mots. Elle m'embaumait et m'éclairait. Je n'aurais jamais dû m'enfuir ! J'aurais dû deviner sa tendresse derrière ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires !
Mais j'étais trop jeune pour savoir l'aimer.

[Antoine de Saint Exupéry - Le Petit Prince]

fermez les yeux

prenez le coeur le plus chaleureux du monde, comprimez-le, écrasez-le sans pitié jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une petite boule de haine glacée de couleur anthracite ; ensuite regardez-le tournoyer dans le vide, crachant d'occasionnelles aiguilles de lumière...

mardi 30 octobre 2007

mon oeil s'enfonce dans mon crâne creux

si je pouvais m'enlever un oeil sans douleur,
je l'enverrais loin par delà les nuages,
il traverserait l'atmosphère,
se régalant du spectacle des étoiles...
plus tard il retomberait sur la terre,
dans un pays inconnu, sur un autre continent,
un habitant de ce lieu ramasserait mon petit oeil,
et comprenant son aspiration au voyage,
l'enverrait encore une fois bien loin vers le ciel,
il verrait alors d'autres étoiles chanter,
et sa chute le conduirait encore ailleurs...
ainsi tant que sur son chemin bondissant,
il trouverait quelqu'un pour le renvoyer toujours plus haut,
et reviendrait un jour tout naturellement à sa place,
et remplirait mon esprit de rêves toujours plus beaux...

prends ma main

Vous êtes mort un soir à l'heure où le jour cesse.
Ce fut soudain. La douce et terrible paresse
En vous envahissant ne vous a pas vaincu.
Rien ne vous a prédit la torpeur et le tombe.
Vous eûtes le sommeil. Moi, je peine et je tombe,
Et la plus morte mort est d'avoir survécu.

[Anna De Noailles - Vous êtes mort un soir]

l'ombre de rien

tu n'es que l'ombre de toi-même, juste une flaque de molécules qu'on aurait ramassée, modelée et durcie dans un four pour lui donner une vague forme humaine, et sur laquelle on aurait finalement entassé des bouts de tissu pour faire illusion...
et toi, pantin, tu a appris à respirer, à vivre parmi les hommes, tu sais maintenant sourire, pleurer, et faire rire, tu sais même dire "je t'aime"...
bien sûr il y a des personnes qui y croient, bien sûr il y en a qui t'aiment, qui te haissent, te méprisent ou t'admirent...
mais moi je ne me laisserai pas emprisonner dans la profondeur de tes yeux couleur rêve ; ce que la vie m'a appris, c'est qu'une boîte lumineuse et douce peut cacher bien des noirceurs...
alors je pose une barrière entre mon âme et le paradis infernal de ton regard, car j'ai compris qu'à l'intérieur de cette enveloppe attirante, on avait oublier de placer ce qu'on appelle un coeur...

lundi 29 octobre 2007

égarement

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font plus frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

[Arthur Rimbaud - Le Dormeur du Val]

samedi 27 octobre 2007

où suis-je ?

la vie ne semble être qu'une perpétuelle répétition, comme un serpent qui se mord la queue, partout on ne voit que des copies conformes de copies conformes, c'est sans fin, tout ressemble au reste et à la fin c'est à se demander s'il y a une individualité possible... ou peut-être que c'est encore moi qui comprends rien, et que tous ces jeux de miroir sont la vie pour de vrai ?...

début d'hiver

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air comme une femme lubrique,
Brûlante en suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou la grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Apres les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! Dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine,
De mes amours décomposés !

[Charles Baudelaire - Une Charogne]


des mots démons d'émotions...

quand on est face à face et que les paroles ne viennent pas...
quand les pensées, les peines, les douleurs restent coincées, traversent le coeur sans en sortir...
quand les lettres n'arrivent pas à se rencontrer pour traduire les plus simples maux...

en travaux

dis maman,
si je pouvais mettre une grue et une grosse pelleteuse dans ma tête,
tu penses qu'elles arriveraient à tout casser les ruines qui gènent,
à faire s'envoler la tristesse qui rend mon regard sombre,
à pousser tous les cauchemars
et à leur faire peur pour que jamais ils ne reviennent ?
tu crois qu'elles sauraient faire rejaillir les jolies fleurs,
et faire apparaître à la surface toutes les étoiles de couleur
qui sont enfouies loin en-dessous,
et leur donner la force de me faire sourire pour toujours ?

un pas vers le ciel

There's a Lady who's sure, all that glitters is gold,
And she's buying a stairway to heaven.
And when she gets there she knows, if the stores are closed,
With a word she can get what she came for.
There's a sign on the wall, but she wants to be sure,
'Cause you know sometimes words have two meanings.
In a tree, by the brook, there's a songbird who sings,
Sometimes all of our thoughts are misgiven.
There's a feeling I get, when I look to the west,
And my spirit is crying for leaving.
In my thoughts I have seen, rings of smoke through the trees,
And the voices of those who stand looking.
And it's whispered that soon, if we all call the tune,
Then the piper will lead us to reason.
And a new day will dawn, for those who stand long,
And the forests will echo with laughter.
It makes me wonder...
If there's a bustle in your hedgerow, don't be alarmed now,
It's just a spring clean for the May-Queen.
Yes there are two paths you can go by, but in the long run,
There's still time to change the road you're on.
Your head is humming and it won't go, in case you don't know,
The piper's calling you to join him.
Dear lady, can you hear the wind blow, and did you know,
Your stairway lies on the whispering wind.
And as we wind on down the road,
Our shadows taller than our soul,
There walks the lady we all know,
Who shines white light and wants to show
How everything still turns to gold.
And if you listen very hard,
The tune will come to you at last,
When all are one and one is all,
To be a rock and not to roll.
And she's buying a stairway to heaven.

[Led Zeppelin - Stairway to Heaven]

noyade

Alors j'essaie. Je noircis des feuilles et des feuilles, je les rature, je les déchire, je sèche des heures sur une phrase que finalement je dilue avec mes larmes, et je laisse l'encre bleue couler dans les taches étoilées ; je regarde les mots finir en flaques.

[Didier VanCauwelaert - L'éducation d'une fée]

image d'automne

Le temps parle.
Il parle plus simplement que les mots.
Le message qu'il porte se transmet à haute voix et clairement.
Parce qu'il est utilisé moins consciemment, il ne risque pas d'être dénaturé comme l'est le langage parlé.
Il peut clamer la vérité quand les mots mentent.

[Edward T.Hall - Le langage silencieux]

penser nos plaies

Il médita, en proie à trop de pensées moroses, au déroulement anarchique et décousu ; elles nageaient à l'intérieur de lui comme des poissons d'argent. Des peurs, des aversions, des appréhensions. Et tous les poissons d'argent remontaient à la source pour renaître sous forme de peur.

[Philip K. Dick - Ubik]

l'enfance

Sur mes cahiers d'écolier, sur mon pupitre et les arbres,
Sur le sable sur la neige, j'écris ton nom.
Sur toutes les pages lues, sur toutes les pages blanches,
Pierre sang papier ou cendre, j'écris ton nom.
Sur les images dorées, sur les armes des guerriers,
Sur la couronne des rois, j'écris ton nom.
Sur la jungle et le désert, sur les nids sur les genêts,
Sur l'écho de mon enfance, j'écris ton nom.
Sur les merveilles des nuits, sur le pain blanc des journées,
Sur les saisons fiancées, j'écris ton nom.
Sur tous mes chiffons d'azur, sur l'étang soleil moisi,
Sur le lac lune vivante, j'écris ton nom.
Sur les champs sur l'horizon, sur les ailes des oiseaux,
Et sur le moulin des ombres, j'écris ton nom.
Sur chaque bouffée d'aurore, sur la mer sur les bateaux,
Sur la montagne démente, j'écris ton nom.
Sur la mousse des nuages, sur les sueurs de l'orage,
Sur la pluie épaisse et fade, j'écris ton nom.
Sur les formes scintillantes, sur les cloches des couleurs,
Sur la vérité physique, j'écris ton nom.
Sur les seentiers éveillés, sur les routes déployées,
Sur les places qui débordent, j'écrit ton nom.
Sur la lampe qui s'allume, sur la lampe qui s'éteint,
Sur mes maisons réunis, j'écris ton nom.
Sur le fruit coupé en deux, dur miroir et de ma chambre,
Sur mon lit coquille vide, j'écris ton nom.
Sur mon chien gourmand et tendre, sur ses oreilles dressées,
Sur sa patte maladroite, j'écris ton nom.

Sur le tremplin de ma porte, sur les objets familiers,
Sur le flot de fou béni, j'écris ton nom.
Sur toute chair accordée, sur le front de mes amis,
Sur chaque main qui se tend, j'écris ton nom.
Sur la vitre des surprises, sur les lèvres attentives,
Bien au-dessus du silence, j'écris ton nom.
Sur mes refuges détruits, sur mes phares écroulés,
Sur les murs de mon ennui, j'écris ton nom.
Sur l'absence sans désir, sur la solitude nue,
Sur les marches de la mort, j'écris ton nom.
Sur la santé revenue, sur le risque disparu,
Sur l'espoir sans souvenir, j'écris ton nom.
Et par le pouvoir d'un mot, je recommence ma vie,
Je suis né pour te connaître, pour te nommer.

[Paul Eluard - Liberté]